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La dragueuse du Léman

"C'est à l'endroit où il est le plus profond que le lac est le plus calme" (Inconnu)

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46° 30’ 23.782’’ N 6° 37’ 46.812’’ E. D’immenses bennes en métal se dressent face au lac. Un va et vient de camions anime le port d'Ouchy en cette belle journée de printemps. J’ai rendez-vous avec l’équipage du Savoie pour faire route sur Prangins. Si vous avez l’habitude de regarder le Léman, sûrement avez-vous déjà vu passer au loin les chalands de la Sagrave qui fendent l’eau silencieusement jour après jour, pour aller draguer les fonds lacustres. Le Savoie est un chaland à caisse datant de 1982. Avant le départ, une immense pelleteuse remplit le fond de la caisse d’eau pour lester le bateau afin de faciliter les manœuvres. Il est 09h00. Laurent enclenche les moteurs, Didier largue les amarres et nous quittons le port d’Ouchy sur un lac d’huile. Une fois au large, le pilote automatique prend le relais et je fais connaissance avec mes hôtes autour d’un café croissant. Le radar veille mais les hommes gardent un œil sur le lac depuis le poste de pilotage où la vue est extraordinaire. C’est le pilote qui décide si le chaland peut naviguer ou pas, suivant les conditions météorologiques. « Si les vagues passent par-dessus la digue à Ouchy, on ne sort pas ! »

 

En route, nous croisons le Saturne, un chaland noyeur. Celui-ci amène du remblai depuis la terre ferme afin de boucher les trous faits par la dragueuse pour que les fonds lacustres ne s’effondrent pas. La caisse du noyeur s’ouvre en deux, laissant ainsi tomber le remblai au fond du lac.

 

Après 1h40 de traversée, nous approchons de Prangins. L’énigmatique Drague PS se dresse devant nous tel un vaisseau venu d’ailleurs. Laurent l’accoste tout en douceur. J’observe quelques instants l’impressionnant édifice qui me fait froid dans le dos ! Une énorme benne preneuse à câble, pilotée par Fabien, plonge dans les profondeurs lacustres à 28m de fond, ressurgit quelques secondes plus tard remplie d’eau, de sable et de graviers, puis, tel un T-Rex, ouvre sa gueule pour vomir les entrailles du lac sur une grille 8m plus-haut avant de plonger à nouveau. Le ballet me laisse sans voix et me fascine. Fabien me promène sur la plateforme qui est alimentée par deux moteurs situés dans la cale arrière. Sur des tapis grillagés en mouvement, des cailloux de trois tailles différentes déferlent vers leur lieu de triage. Le Bretagne, un chaland noyeur, drague la côte non loin de là. De par sa petite taille, il peut ainsi amener le granulat côtier au plus près de la Drague.

 

Après avoir été lavé et trié, le granulat est acheminé sur le Savoie par des tapis qui forment quatre tas distincts de sable et de gravillons de tailles différentes destinés à la fabrication d'ouvrages de travaux publics, de génie civil et de bâtiments.

 

Il faudra quelques heures pour que le Savoie se remplisse et que l’équipage le ramène au port. C’est donc avec le Valesia que je ferai le voyage de retour. Stationné au loin, sa cargaison de 500 tonnes chargées dans la caisse, sa ligne de flottaison est au raz de l’eau ! Venu de la Dranse ce matin pour chercher son chargement à la Drague de Prangins, c’est à Ouchy que va être déposé le granulat. Nous voguons sur un lac plat. Les montagnes encore enneigées sur leur sommet semblent sortir de l’eau, côté France. Nous croisons à nouveau le Saturne, qui, inlassablement, parcourt le grand lac, jour après jour. Nous approchons du port d’Ouchy. C’est Julien, un apprenti batelier qui pilote le Valesia à son entrée dans le port et jusqu’à sa place d’amarrage. Les grues, comme sorties d’un film de science-fiction sont déjà en place pour décharger le précieux agrégat sur la terre ferme. Thierry, le pilote du Valesia, grimpe dans l’une des grues tandis que Julien s’affaire sur le chaland. A deux pelleteuses, il ne faudra que 45 minutes pour vider le chaland ! Une fois le Valesia nettoyé, les deux hommes reprennent le large en direction de la Dranse où le bateau sera amarré pour la nuit.

 

Alors la prochaine fois que vous verrez passer au loin les chalands de la Sagrave, vous saurez à présent quelles sont ces mystérieuses barges qui parcourent les côtes suisses et françaises entre le Bouveret et Prangins, tantôt vides, tantôt pleines, mais toujours avec la même discrétion, sans vague, sur la ligne d’horizon entre terre et montagnes.

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