Le shaper d'Alaïa Bay
"L'homme ne peut pas découvrir de nouveaux océans si il n'a pas le courage de perdre de vue le rivage" ( André Gide)
Sion, un matin de novembre. Je fixe les rouleaux bleu turquoise qui déferlent vers moi avec la même constance. Je ferme les yeux. Le soleil automnal et le bruit des vagues qui s’échouent sur le « rivage » m’emmènent un instant sur les bords de l’Atlantique. Des surfeurs s’ajoutent à mon tableau lorsque je reviens à la réalité. Bienvenue à Alaïa Bay, un spot de surf au cœur des montagnes valaisannes ! Un immense bassin, séparé en son milieu par un système de « fabrication de vagues ». Non chauffée, l’eau est à 6.8 degrés ce matin. L’installation utilise l’énergie de la Grande Dixence et ne consomme pas plus qu’un télésiège. Ouvert cette année, l’endroit est étonnant. Chaque heure a ses niveaux, du débutant à l’expert. Je flâne au bord du bassin, observe les surfeurs prendre les vagues, passer dans les tubes, tomber, remonter sur leur planche, ramer mais surtout prendre du plaisir dans ces vagues artificielles dominées par les sommets enneigés !
Mais je ne suis pas là juste pour me balader et regarder les surfeurs. C’est dans le sous-sol d’Alaïa Bay que se trouve la personne avec laquelle j’ai rendez-vous. Carlos vient de Lisbonne et surfe depuis aussi longtemps qu’il s’en rappelle ! Il fabrique des planches de surf, ici à Alaïa Bay. Il n’y a pas d’école de shaper me dit-il. Entendez par shaper : fabriquer des planches de surf. Le métier s’apprend entre amis, sur le terrain. Au début on répare des planches puis petit à petit on se met à shaper.
Une odeur de résine m’attaque les narines lorsque je pénètre dans l’antre de Carlos. Il est en train de fabriquer une planche pour un client. Après avoir choisi le pain de mousse dans la pièce voisine, il en inspecte chaque côté, en mesure l’épaisseur qui jouera sur la flottabilité, la longueur et dessine au crayon les pourtours qu’il découpera ensuite à la scie électrique dans son atelier. Une fois la planche taillée à sa juste forme, grandeur et épaisseur, le futur propriétaire choisira sa couleur et son design. Entre temps, Carlos aura fixé les ailerons qu’il renforcera avec de la fibre de verre. Chacune de ces pièces est bichonnée et unique. Carlos repart également les planches ici à Alaïa Bay, nombreuses en cette fin de saison estivale ! Dans la pièce à côté, Jordan est en train de poncer une planche abîmée. Les deux hommes se partagent le travail, tantôt à la réparation, tantôt à la fabrication. Trois à quatre jours sont nécessaires pour la fabrication d’une planche. Quand il n’est pas dans son atelier, Carlos surfe les vagues d’Alaïa ou donne un cours. Certains matins, il shape en compagnie du futur propriétaire de la planche, lui donnant ainsi l’occasion de fabriquer sa planche presque entièrement lui-même sur les conseils du pro.
En regardant Carlos travailler j’admire son ardeur pour son métier. Je photographie le surf depuis plusieurs années, mais jamais je ne m’étais intéressée au « behind the scenes » de ce sport de glisse. Quelle fascinante découverte ! Je n’aurais pas pensé qu’une planche de surf se découpait avec la même scie électrique que celle qui me sert à fabriquer des cadres au fond de mon garage ! Le surf véhicule cette image d’aventure, de voyage, d’une communauté unie par la même force et la même envie de liberté. Quel beau métier que d’être à la base de toute cette grande famille !
Sur le poignet de Carlos, une vague, qui lui rappelle son pays et sa passion pour la mer. Pour lui, la Suisse est à présent un pays complet avec des montagnes pour le ski et Alaïa Bay pour le surf !