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L'île aux tortues

"Ile de l'Eternité:
une tortue sèche sa carapace
aux premiers rayons de l'année"

Baisei Takase, poète, Japon

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35°30’47’’N 12°35’14’’E. Loin dans la mer, au large de la Sicile, trois petites îles bravent le vent et les vagues de la Méditerranée. Elles composent l’Archipel des Pélages. C’est sur l’île de Lampédusa que je me suis rendue pour vous conter, comme promis, la vie au centre de récupération des tortues marines que Daniela a créé il y trente ans et que timelapse a choisi d’aider grâce à vos dons.

 

Je suis arrivée au centre samedi, en même temps que Spritz, jeune tortue de deux ans  retrouvée prisonnière d’un sac de jute par des plongeurs, près de Lampione, petite île inhabitée au large de Lampédusa. Entouré autour de ses nageoires antérieures, le sac avait déjà commencé à lui entailler la peau, si fine autour de son cou. Ce sont les volontaires qui baptisent les tortues. Une fois son prénom attribué, la tortue est pesée, mesurée, genrée lorsque cela est possible (a deux ans Spritz est trop jeune pour connaître son sexe) et soignée, si besoin. Chaque tortue a également droit à une radio qui révèle bien souvent la présence d’un hameçon dans sa gorge ou son œsophage. Une fois rétablies, les tortues restent au centre quelques jours, puis son relâchées sur une plage de l’île par Daniela et ses volontaires. Un moment extraordinaire, symbole de liberté et de sauvegarde de l’espèce.

 

Le centre fonctionne grâce aux volontaires qui se succèdent tout au long de l’année auprès de Daniela. Mais la vie au centre coûte cher ! Il y a l’électricité, la nourriture des tortues, ainsi que celle des volontaires, le billet d’avion du vétérinaire depuis le continent, les produits d’entretien du centre, le matériel chirurgical, et la liste est encore longue ! Il faut dire que l’on ne s’ennuie pas ici. Les bassins sont nettoyés tous les jours, vient ensuite l’heure de nourrir les pensionnaires aquatiques, les soins, lorsque nécessaire, puis en fin d’après-midi, les visites guidées pour le public.

 

Nous sommes aujourd’hui lundi. Ce week-end, quatre nouvelles tortues sont arrivées au centre, toutes amenées par le même pêcheur. Ce pêcheur de thon et d’espadon utilise une méthode appelée « long line », qui consiste à laisser traîner ses fils à 15m en-dessous de la surface, et plus profondément au ras des fonds marins. Bien souvent, ce sont les tortues qui mangent l’appât et l’hameçon avec. Lorsque l’hameçon se plante dans la gorge de la tortue et que le fil repose au fond de la mer, la tortue, prisonnière, ne peut plus remonter à la surface pour prendre son air et meurt. Il arrive parfois qu’elle soit remontée par le pêcheur à temps, mais la remontée rapide, tout comme un plongeur ne respectant pas ses paliers, provoque une embolie gazeuse. Les caissons hyperbares pour les tortues n’étant pas encore disponibles sur Lampedusa (certains pêcheurs disposent d’un tel caisson en Espagne), la tortue décède avant d’avoir atteint le centre. A 15m sous la surface, les tortues gardent leur chance de survie et arrivent au centre, un fil dans la gueule, l’hameçon planté dans l’œsophage. Bien que l’hameçon ne soit pas anodin, le fil lui, si il n’est pas retiré à temps, s’emmêlera autour des nageoires et les lui sectionnera.

Kayak, Linosa, Lucky et Blue ont eu de la « chance » ce samedi. Trois d’entre elles ont un hameçon dans la gorge. Daniela retire celui de Kayak mais Linosa et Blue devront attendre la semaine prochaine pour se faire opérer, l’hameçon étant trop loin dans l’œsophage. Lucky porte bien son nom puisque la tortue s’en tire sans une égratignure !

 

Les plastiques sont certes une grande menace pour les tortues marines, mais le plus grand tueur demeure le bycatch (capture accessoire). Ne pouvant pas interdire la pêche, il faut collaborer et sensibiliser les pêcheurs à la cause des tortues, ce que Daniela fait depuis de longues années. Et son travail semble porter ses fruits sur Lampedusa.

 

Daniela a mille vies ! Cette biologiste est professeur de mathématiques et de sciences à l’école de Lampedusa, Board Director du International SeaTurtle Society, traductrice, fondatrice et directrice du centre des tortues marines à Lampedusa où elle travaille jour et nuit avec les volontaires ! Lorsqu’il lui reste un peu de temps libre, Daniela s’occupe de la recherche de fonds  et du marketing pour le centre, planifie l’arrivée du vétérinaire depuis le continent pour les opérations  chirurgicales à venir et lit les thèses de ses étudiants venus travailler au centre durant l’été pour leurs études.

 

Il est 11heures. Je me glisse doucement dans le grand bassin de Star. Arrivée il y a 2 ans, Star a entre 8 et 10 ans. Elle ne reverra probablement jamais la mer car ses deux nageoires avant ont été sectionnées par des fils de pêche. D’ordinaire curieuse, Star se cache à l’autre bout du bassin. Je reste immobile, essayant de gagner sa confiance. Petit à petit, la tortue se rapproche, nage élégamment malgré son handicap. Si gauche hors de l’eau, mais si élégante dans la Grande Bleue. Des papillons de mer, comme les appelle Daniela.

 

Ce soir, juste avant la nuit, Kayak va regagner la mer. Daniela a choisi une plage tranquille, loin de l’agitation humaine. Des rochers bordent les côtés de la plage, puis s’ouvrent sur la mer comme pour indiquer le chemin vers le grand large. Tous les volontaires sont présents pour ce moment émouvant. Car c’est bien là que le centre prend tout son sens. Au calme dans son bac, Kayak a été baguée. La tortue est posée sur la plage au ras de l’eau. En quelques secondes, Kayak disparaît sous la surface et nage, tel un papillon des mers, vers la longue vie qui l’attend.

 

Bon vent à toi petite tortue ….. 

 

                                                                    A mon dad

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